Sauver la Ville by Timba Bema

Article : Sauver la Ville by Timba Bema
Crédit: Timba Bema
31 juillet 2024

Sauver la Ville by Timba Bema

J’aime beaucoup Timba Bema , l’homme et l’œuvre. Parce que sa démarche artistique est l’une des plus intéressantes qu’il m’ait été donné de rencontrer chez nos poètes. C’est de la poésie, qui a vocation à embrasser et embraser la totalité pour nous ramener à l’essentiel, et à partir de laquelle l’individu comme la collectivité peuvent entrevoir un futur différent. Alors naturellement,pour le premier article de ce blog que je consacre à la ville de Douala, j’ai fait recours à lui. Dans ces lignes, il déroule l’itinéraire (physique et sensible) qui l’a amené à son livre « Sauver la Ville » paru en 2021. Livre qui a pour décor la ville de Douala, et qui à partir de l’actuel cherche à réinventer ce territoire. Bonne lecture!

Le retour

 L’écriture de Sauver la ville est consécutive à un choc : le choc du retour après un séjour sans interruption d’une dizaine d’années à l’étranger notamment pour suivre mes études universitaires et travailler par la suite. Je n’avais pas d’attentes particulières, du moins conscientes, de ce voyage. Je me laissais tout simplement guider par cette force magnétique qui m’attirait vers les berges du Wouri. Une fois plongé dans la chaleur étouffante de la ville, je réalisai que le but de ce voyage était de confronter l’image que j’avais précieusement gardée en mémoire de ma ville, cette image façonnée par mes yeux d’enfant et d’adolescent, avec la réalité que j’avais commencé à mieux percevoir avec l’éloignement. Parfois, il faut prendre de la distance pour mieux voir les choses qui nous environnent. Je revisitais les lieux qui marquèrent ma vie à Douala.

Timba Bema, enfant / crédit: Timba Bema

Nostalgie

J’eus l’impression que la ville que j’avais toujours connue s’effondrerait bientôt, tant elle semblait avoir perdu son âme. Douala est la ville où je suis né. Je suis également duala de père et de mère, ce qui signifie que mes racines y sont profondément ancrées. J’ai grandi à Bali, un quartier historique de Douala. Ma sensibilité, mon être au monde ont été façonnés par cette ville.

Je la porte en moi, car elle n’est pas seulement un espace physique, elle est surtout un territoire dans ma mémoire, un lieu dans lequel je m’abrite de temps en temps, comme sur ce goyavier que j’avais planté dans la cour de ma maison d’enfance, ce goyavier dans les branches duquel je me vautrais pour contempler la course des nuages, écouter la musique des oiseaux, mais aussi manger ses fruits savoureux. C’est avec la sensibilité d’un duala, mais surtout d’un doulien, que j’aborde également l’écriture. Cette ville se trouve dans mes écrits de façon directe ou indirecte. Dans Sauver la ville , elle est au centre de mon interrogation.

affiche du livre Sauver la Ville / crédit: Timba Bema

La ville actuelle

Je parlais plus haut du délabrement qui annonce l’effondrement.

Le premier aspect de ce délabrement est la destruction de la matière humaine par le capitalisme sauvage qui se traduit par une marchandisation à outrance. Tout se vend, à Douala, de façon licite ou illicite : la terre, les êtres humains, les diplômes, les emplois, les honneurs… Tout se vend en cette ère de corruption généralisée. Il n’y a plus rien de sacré, rien à préserver, à respecter, à honorer.

Le deuxième aspect du délabrement est la destruction de l’environnement, du cadre de vie. C’est que Douala s’est détournée de l’eau. Je peux même affirmer qu’elle s’est mise à détester sa matrice qui est pourtant l’eau. Les arbres sont coupés. Les rivières et les ruisseaux sont transformés en égouts pour l’évacuation des déchets. Les vergers sont rasés pour construire des chambres, des studios à louer ou des meublés. Les marécages sont remblayés pour construire des habitations afin d’absorber les 110 000 hommes, femmes et enfants qui viennent tous les ans chercher un avenir dans ses murs. Les douliens ne réalisent pas que le niveau de la mer est en train de monter, et que si rien ne change, dans 100 ans, une bonne partie de la côte sera submergée.

Prestation scénique Sauver la Ville / crédit: Timba Bema

Réinventer le territoire

J’ai posé plus haut le constat du délabrement qui a deux volets : celui de la destruction de la matière humaine et celui de la destruction de l’environnement. Le futur de Douala passe certainement par la maîtrise de ces deux dangers.

Destruction de la matière première

Pour freiner la destruction de la matière humaine, il faut limiter les deux leviers du capitalisme à savoir la possession de la terre et le contrôle de la marchandise.

Une réforme foncière est nécessaire afin que 20 % au moins des terres soient inaliénables et employées au bénéfice des collectivités. On peut parler ici de terres collectives dévolues à des investissements collectifs comme cela se faisait dans le temps pour les terres agricoles. Il faut sortir de la logique du tout marché en instaurant des sanctuaires, des zones, des espaces protégés. C’est aussi un bon moyen de limiter le tribalisme qui est le racisme tropicalisé.

En ce qui concerne la maîtrise de la marchandise, cela passe nécessairement par l’industrialisation, c’est-à-dire l’augmentation massive de la production de richesses à l’intérieur du territoire afin de donner un emploi et des perspectives à notre écrasante jeunesse. Le modèle de l’économie de plantation qui explique l’essor de Douala est appelé à disparaître du fait de la démondialisation en cours avec l’avènement des BRICS.

Destruction de l’environnement

Pour limiter la destruction de l’environnement, du cadre de vie, il est indispensable de créer un second pôle économique pour alléger Douala à bout de souffle. Il faut aussi repenser l’architecture et l’aménagement du territoire pour avoir le moins d’emprise sur le sol. Le mode d’habitat actuel, basé sur la villa individuelle n’est pas la façon optimale d’occuper le sol. Il faudrait penser à verticaliser l’habitat. Douala a tourné le dos à l’eau. Son avenir passe par la réconciliation avec l’élément liquide. Pour ce faire, il faut réhabiliter les sources, les canaux, les ruisseaux et les rivières qui sillonnent la ville et sont actuellement encombrés par les déchets ménagers. On peut s’inspirer du système de gestion de l’eau mis sur pied par Amsterdam depuis des siècles et qui sait s’adapter pour répondre aux défis du moment comme l’élévation du niveau des océans.

Par la position géographique de Douala, la végétation y joue un rôle essentiel pour établir un équilibre entre terre et mer, elle permet aussi de faire baisser la température ressentie et les dépenses énergétiques. Les arbres devraient donc réinvestir la ville et la mangrove reconstituée. Douala est aussi une ville où on vit dehors, il est inconcevable qu’il y ait si peu de jardins publics. Pourtant, ceux-ci devraient pousser dans tous les quartiers, que dis-je, tous les blocs. De même que les bibliothèques, les centres sportifs et artistiques y compris les marchés qui devraient être de proximité et de plus petite taille.

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Timba Bema

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