Triste fille de joie

Article : Triste fille de joie
Crédit: Koko Komegne
1 octobre 2024

Triste fille de joie

Depuis 2017 et la crise de sécession dans les régions du Nord-Ouest et Sud-Ouest du Cameroun, des milliers de déplacés internes ont quitté la zone anglophone pour venir vivre dans les villes du côté francophone. À Douala, beaucoup se sont installés, à Bonabéri notamment. Entre difficultés d’adaptation du fait de la langue et absence de travail, certaines femmes parmi ces réfugiés se livrent souvent à la prostitution, à des prix dérisoires…

Rencontre

Au début, tu avais certainement eu honte, mais après, après tu t’y étais faite. Ton corps n’était plus qu’une épave, à laquelle venait s’agripper, de leurs mains éraillées, tous les hommes à la dérive de la ville. Le temps est un tribunal impardonnable ; une pierre dans les veines au soir, tu te promettais à chaque fois de tout arrêter, dès que tu aurais mis assez de côté, pour commencer une vie nouvelle. Mais la vérité c’est que, tu ne pouvais plus te débarrasser de la mémoire de ton corps…

Crédit: Koko Komegne, avec son autorisation ; Oeuvre: Fragments, Koko Komegne
Ta métamorphose

Tu étais devenue la nuit aux plaisirs discrets. Tu étais la rue dégoutante aux rigoles bouchées et puantes. Tu étais la lumière jaunâtre des lampadaires. Tu étais le froid des trottoirs déserts. Tu étais l’aboiement des chiens errants. Tu étais le lit aux draps crasseux. Tu n’étais plus qu’un réceptacle de sperme, d’alcool, de cigarette, de drogues et de sang…

Tu appelais le premier venu ainsi, mais tu ne connaissais pas réellement la signification de ces mots: « chéri, mon amour, trésor, mon ange, bébé, mon cœur… »

Tu n’avais pas eu besoin de faire de grandes études pour comprendre comment ça se passait dans la rue. Sans avoir fait psychologie, tu savais quelles tenues porter pour attirer vers toi les yeux de désir ; sans avoir fait économie, tu savais avec les clients convenir des prix ; sans avoir fait biologie, tu savais quels gestes donnaient une extase incommensurable.

Lecture slam de « Triste fille de joie » par Moise KAMGUEN
Dénouement

Triste fille de joie, ça m’a fait tout bizarre de te voir en plein jour, toi qui étais fiancée à la nuit.

Sur ton corps couché comme autrefois, une question idiote m’a traversée l’esprit. Avec combien d’hommes avais-tu couché, si tu pouvais estimer. Tu ne pouvais pas répondre, voyons ! C’était bête évidemment, tu ne comptais pas, tu ne comptais plus depuis…

J’ai su trop tard que tu n’avais pas renoncé à l’amour, quand ils m’ont appelé pour venir identifier ta dépouille, violée et mutilée.

J’ai su trop tard que tu n’avais pas renoncé à l’amour, que tu gardais blotti contre ton sein  mort, un médaillon en forme de cœur.

Triste fille de joie

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